Appel à communications
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Approcher le monde professionnel de la santé par ses marges
Dans tout espace professionnel, comme dans les mondes sociaux1, il existe des membres qui sont considérés comme de « vrais » ou d’« authentiques » représentants, pendant que d’autres passent pour tenir une place moins centrale, voire marginale. Il en résulte des identités professionnelles reconnues, d’autres moins, et des groupes professionnels qui gravitent à plus ou moins grande distance du centre. C’est vers ces derniers que se tourne cet événement. Il s’agit d’aborder le monde professionnel de la santé, à rebours de tout souci de représentativité ou de conformité à l’image que l’on peut en avoir, par ses marges, ses cas particuliers, ses situations et acteurs insolites. On peut entendre cette idée de plusieurs manières : le caractère singulier peut être lié au métier exercé, aux formations suivies, aux diplômes obtenus, au statut ou au cadre institutionnel de l’activité, etc.
En première analyse, il est possible de distinguer deux façons de s’inscrire de manière marginale ou insolite dans le champ des professionnelles et professionnels de santé : d’un côté, il s’agit des marges d’un monde professionnel dont les soins de santé sont le centre; de l’autre, ce sont les activités liées au soin, à l’intervention en faveur de la santé d’autrui, qui apparaissent à la marge d’autres activités possédant, quant à elles, un caractère plus central dans le métier en question.
Par exemple, les pompières et pompiers ne sont pas définis comme des professionnels de santé, mais ils sont formés à donner des soins d’urgence et à tenter, si nécessaire, de réanimer les personnes secourues. Il en va de même pour les maîtres-nageurs et maîtres-nageuses. Et si l’on y réfléchit bien, les membres des corps policiers et du personnel de sécurité peuvent se trouver dans le même cas.
De nombreux mondes professionnels gravitent autour de celui de la santé et partagent avec lui certains domaines d’intervention. La distinction devient parfois imperceptible entre les activités définies comme relevant de la sécurité et celles qui ont pour domaine la santé, notamment lorsqu’il s’agit de veiller à la santé et à la sécurité des travailleurs et travailleuses, et à la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Quant aux marges des professions de santé, il est possible de considérer que la hiérarchisation de cet espace professionnel et sa structuration autour de la dominance médicale exercée non seulement sur les malades, mais aussi sur les autres groupes professionnels, ont pour effet de placer toutes les activités non médicales aux marges de la médecine, ce que traduit expressément l’adjectif « paramédical » attribué à nombre d’entre elles.
Le centre de cette polarisation incarnée par les professions médicales se divise lui-même en positions plus centrales et plus périphériques. Les sages-femmes françaises ont beau avoir obtenu le statut de profession médicale, elles restent à la périphérie de la médecine, autorisées à intervenir seulement dans le cas où il n’est pas jugé nécessaire que les obstétriciens et obstétriciennes le fassent. Parmi les médecins français, certains n’ont pour ainsi dire pas le droit de prescrire, comme les médecins scolaires, ou ne soignent pas les malades, comme ceux qui se spécialisent en santé publique. La même logique de décentrement conduit à distinguer au sein des médecins les plus centraux ou emblématiques des segments ou des modes d’exercice plus ou moins marginaux, inhabituels ou particuliers, comme les nombreux médecins diplômés d’universités étrangères sans lesquels les hôpitaux ne pourraient fonctionner et qui sont recrutés en tant que « faisant fonction d’internes », « attachés associés » ou « assistants associés », à des conditions de statut et de rémunération inférieures à celles des titulaires.
Il serait vain de tenter de dresser une liste exhaustive de ces écarts à l’image normative des professionnelles et professionnels de santé. Ce qui importe est plutôt de comprendre l’esprit dans lequel cet appel à communications invite à aborder les groupes professionnels : chercher les différenciations, les cas particuliers, les métiers invisibles, ceux auxquels on ne pense pas alors qu’ils participent de manières diverses à la prise en charge du mandat commun revendiqué par les professions de santé. Cela n’exclut en aucune façon les contributions qui traitent des professionnelles et professionnels « du centre », mais ils doivent s’interroger sur les activités marginales de leur pratique professionnelle.
À titre indicatif, on peut évoquer plusieurs entrées possibles, tout en gardant la porte ouverte à d’autres propositions non mentionnées ici, mais inspirées de la même démarche.
1. Les groupes de métiers indirects ou invisibles à la production des activités de santé
En gardant à l’esprit l’analogie avec les mondes sociaux, on peut en premier lieu ouvrir une perspective très inclusive du monde professionnel de la santé, intégrant non seulement les personnels invisibles du soin à l’hôpital, comme les aides-soignantes2, mais aussi les personnels techniques et administratifs, les personnes blanchisseuses et mécaniciennes, les informaticiens et informaticiennes, les travailleuses et travailleurs du social, les plombiers et plombières indispensables au fonctionnement des établissements de santé3. Les activités thérapeutiques sont certes l’affaire des personnes professionnelles de santé canoniques, mais beaucoup d’autres acteurs rémunérés ou bénévoles gravitent autour d’elles dans le but d’améliorer l’état de santé physique ou morale des malades. On peut croiser dans établissements de soin des artistes du milieu musical, des praticiennes et praticiens et praticiennes d’art thérapie, des professeures et professeurs de yoga, des clowns qui amusent les enfants malades. Les personnes atteintes de maladies chroniques peuvent s’entourer de proches aidants dont le rôle fait l’objet d’une reconnaissance relative de la part des institutions sanitaires et sociales, les frontières entre professionnelles, professionnels et profanes se brouillent avec l’intervention de patients-experts, patientes-expertes ou de pairs aidants.
Hors des murs de l’hôpital (ou des cliniques et organisations privées), le monde de la santé fait vivre des cabinets d’expertise-conseil (parfois grassement payés) qui expliquent comment couper dans les dépenses des établissements publics, des firmes de communication qui tentent d’attirer du nouveau personnel dans des métiers qui ont de la difficulté avec leur rétention, des équipes d’ingénierie qui conçoivent les instruments et appareils médicaux, des personnes ouvrières qui les fabriquent, des gestionnaires qui gèrent les usines, des entreprises de restauration collective avec leurs cuisiniers, cuisinières, leurs livreuses et livreurs. L’industrie pharmaceutique constitue à elle seule une galaxie de métiers dont une bonne partie, comme les financiers et financières, et les spécialistes du recrutement n’entretiennent plus que des liens indirects et flous avec la notion de santé. Tout cet univers de fournisseurs, de prestataires et d’équipes-conseil, auquel il faudrait adjoindre les agents et agentes de l’État ou des collectivités locales chargés de la définition et de la mise en œuvre des politiques de santé, est à prendre en compte si l’on veut avoir un aperçu de ce qui constitue, au sens large, la vaste écologie professionnelle des métiers de la santé.
2. Centre et périphérie au prisme des variations nationales
La centralité et la marginalité sont des notions relatives, sujettes notamment aux variations que présentent les divers modèles nationaux d’organisation de la santé, eux-mêmes susceptibles de changements considérables au fil du temps. Il importe, dans la perspective internationale qui est celle de l’AISLF, de tenir compte du fait qu’à l’échelle de la planète, l’accès aux soins passe pour une grande partie de l’humanité par des dispositifs et du personnel professionnel évoluant dans des contextes organisationnels très variés. Par exemple, dans nombre de pays africains, les campagnes de vaccination ou de prévention des épidémies font appel à des agents et agentes de santé communautaires officiellement bénévoles, mais qui peuvent se considérer eux-mêmes comme de véritables professionnels.
Une des questions majeures posées par ces variations de la figure de la professionnelle ou du professionnel de santé est celle de l’identité, dans sa double dimension d’identité attribuée/reconnue et d’identité revendiquée. Être une personne professionnelle de santé n’est pas seulement une question de statut, mais aussi d’identification, de commitment, ce qui conduit à s’interroger sur ce que peuvent avoir en commun ces différentes façons de revendiquer une appartenance à la communauté professionnelle de santé, sur les formes et contenus de la représentation de la professionnelle ou du professionnel de santé qui est ainsi véhiculée. La variation des figures d’identification et d’incarnation de l’identité professionnelle permet de tenter de saisir ce qu’est un métier au-delà des spécificités nationales ou régionales : n’est-ce pas précisément à l’épreuve du constat de cette hétérogénéité que peuvent ressortir l’unité du métier et la possibilité d’une identification à des savoirs et des valeurs qui seraient sa marque spécifique?
Mais cette perspective ne doit pas occulter les questionnements bien plus pragmatiques au sujet de l’organisation des systèmes de santé, de la place faite aux divers intervenants, de leurs conditions d’exercice. Les notions de marge et de périphérie s’articulent alors en fonction des spécificités historiques, à l’analyse des rapports entre anciennes métropoles et anciennes colonies, médiatisés notamment par l’intervention d’organismes internationaux de régulation économique comme le FMI ou la Banque mondiale, mais aussi par le rôle d’ONG et d’organisations humanitaires qui contribuent à configurer les modalités d’intervention du personnel professionnel de santé.
En effet, le développement des approches communautaires en santé et leur institutionnalisation par l’OMS, puis leur traduction en politique sanitaire ont ouvert un champ d’action à des agents dont l’implication dans les activités de soins a contribué à l’émergence et à la construction d’identités hybrides, notamment en Afrique. Situés à l’interface entre les structures de santé et les populations, ces agents et agentes prodiguent une grande variété de soins. Choisis dans et par la communauté avec pour seule compétence le fait de savoir lire et écrire et formés sur le tas, ils ont réussi à s’imposer comme acteurs centraux dans la mise en œuvre des politiques verticales. Certains se sont spécialisés dans la délivrance de soins à domicile, d’autres dans des activités de promotion de la santé. Communément appelés « agents » ou « acteurs de santé communautaire », ils ont contribué à la reconfiguration des identités professionnelles établies et à la constitution de nouveaux segments professionnels.
Enfin, à la seule échelle européenne, l’unification de l’espace universitaire a rendu possible des stratégies de formation tentant de contourner les pays où le dispositif de sélection et les contenus de formation sont plus sélectifs, ce qui tend à renforcer l’hétérogénéité des personnes professionnelles ainsi formées et interroge sur les différenciations des carrières et la segmentation des groupes professionnels qui en résulte.
3. Praticiens orthodoxes et alternatifs
En raison des difficultés d’accès aux soins modernes, mais aussi pour des motifs culturels et politiques, de nombreuses populations dans le monde continuent d’avoir recours à des praticiennes et praticiens « traditionnels » ou « empiriques ». Cela peut tenir à l’existence de configurations nationales qui accordent une reconnaissance institutionnelle aux médecines qui ont été définies comme traditionnelles après leur confrontation dans un contexte colonial avec celle de l’Occident. Ainsi, la Chine a patrimonialisé l’acupuncture et la moxibustion en obtenant leur inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO, certains États de l’Inde enseignent dans les universités la médecine ayurvédique et l’homéopathie à côté de la médecine allopathique.
De telles pratiques ne sont nullement propres aux pays du Sud. L’Europe et l’Amérique du Nord connaissent des vagues d’engouement pour les chamanes, les sorcières, les mouvances wiccanes et néo-paganistes, qui réactivent avec un discours naturaliste les liens anciens entre la santé et les croyances magico-religieuses. Les médecines dites alternatives, offrant un recours lorsque la médecine orthodoxe s’avère impuissante, jouent un rôle régulateur à ses marges et s’inscrivent sur le long terme dans un complexe mouvement de complémentarité et d’opposition avec cette dernière. Qui plus est, la notion de santé fait l’objet d’usages si multiples et hétérogènes qu’elle permet à une kyrielle d’intervenants et d’intervenantes de prétendre contribuer à l’entretenir ou la retrouver, depuis les coachs de vie, les conseillers et conseillères en développement personnel, les sexologues, jusqu’aux influenceurs, influenceuses et aux innombrables vendeuses et vendeurs de produits santé. Les récentes épidémies de COVID ont pu contribuer à brouiller les frontières entre des médecins reconnus qui ont compromis leur crédibilité en promouvant des solutions controversées et des spécialistes autoproclamés agitant les théories et croyances les plus farfelues sur fond de complotisme.
4. Activités et savoirs marginaux ou hybrides des professionnels « centraux »
Les groupes professionnels du centre, c’est-à-dire a priori les plus légitimes du monde de la santé, ne se différencient pas uniquement par la valeur des places et des statuts qu’ils occupent ni par leur spécialisation médicale. La part prise par des activités périphériques, comme la parapharmacie dans les officines de pharmacie, pourrait servir à les classer sur une échelle allant des plus proches du cœur du métier vers des marges peu différenciées du rayon des produits de santé d’un commerce de grande surface. La diversité des praticiennes et praticiens centraux résulte également d’une mobilisation de savoirs complémentaires ou annexes en vue de prodiguer des soins qualifiés de parallèles, de confort, de nouveaux/innovateurs ou encore de support. Les titres officiels de « docteur en médecine » ou autres « diplômés d’État » sont alors affichés pour donner du crédit à ces offreurs de nouveaux services de santé et inspirer confiance au public. De telles offres n’entrent et ne demeurent pas toujours facilement sur le marché : en France, l’acupuncture rejetée puis marginalisée est désormais banalisée, mais l’homéopathie a été déclassée à la suite d’une décision institutionnelle de déremboursement, pendant que l’ostéopathie n’est pas encore parvenue à obtenir un conventionnement des soins par la Sécurité sociale. L’hypnose et la naturopathie, notamment pratiquées par des infirmiers et infirmières, se fraient un chemin dans les protocoles de soin, entre reconnaissance et tolérance.
On observe encore parmi les personnes soignantes des groupes professionnels centraux, des activités qui relèvent de la reconversion, c’est-à-dire d’une réorientation, sans pour autant être synonymes de rupture avec le milieu d’appartenance. Ainsi en est-il des personnes encadrantes de soignants et soignantes, qui portent aujourd’hui, notamment en France, le titre de cadres de santé. Ex-infirmières et ex-infirmiers, ces personnes consacrent leur temps à relayer les décisions de la direction et à « manager » leurs subalternes. La managérialisation et la gestionnarisation sont aussi à l’origine de la création des « médecins DIM », responsables d’un département d’information médicale, garants de la collecte, de la standardisation et de la codification des données.
Ces fonctions repeignent aux couleurs de la modernité managériale des métiers canoniques de la santé, mais non sans générer des tourments identitaires et des conflits. L’émergence de ces nouveaux segments se produit dans un environnement où ils doivent faire leur place en bousculant plus ou moins l’ordre établi et sans cesse renégocié, et où les éventuels empiètements sur le territoire d’autrui peuvent représenter un casus belli ou donner lieu à des compromis.
Dates importantes
23 janvier 2023
Date limite d’envoi des propositions de communications
6 février 2023
Réponse du comité scientifique après sélection des communications
15 avril 2023
Envoi des communications écrites
15 et 16 mai 2023
Colloque
Recommandations aux auteurs
Pour votre appel
Le colloque est ouvert à des propositions venant de toutes les disciplines des sciences sociales et pouvant porter sur tous les groupes professionnels qui prétendent aider leurs clients à préserver ou à améliorer leur santé sans distinction de reconnaissance officielle ni de degré de légitimité. Cependant, elles devront respecter certaines conditions.
Rédigées en français, elles devront préciser clairement quel groupe professionnel elles prennent pour objet, et expliciter quelles activités professionnelles elles considèrent à la fois comme marginales au champ de la santé et comme rattachées à lui, notamment en définissant la conception de la santé à laquelle elles se réfèrent.
Elles doivent comporter le titre de la communication, un résumé de la communication (de 300 mots au maximum plus la bibliographie), le nom de l’auteur, son statut, son adresse de courrier électronique et l’adresse postale de son organisme d’appartenance.
Elles sont à adresser par fichier électronique sous format .doc en précisant en objet « CR 32, Approcher le monde professionnel de la santé par ses marges » à l’adresse suivante : colloquecr32@teluq.ca.
Date limite des soumissions : 23 janvier 2023 à 23:59 (heure de Montréal)
Pour votre communication
Votre communication écrite doit :
- être rédigée dans un document Word (format .doc ou .docx);
- comporter environ 30 000 signes, espaces comprises;
- utiliser une police de caractère de 12 points, en interligne simple.
Faites parvenir votre fichier Word en précisant en objet « CR 32 – Texte de communication » à l’adresse suivante : colloquecr32@teluq.ca.
Date limite des envois : 15 avril 2023 à 23:59 (heure de Montréal)
- Strauss Anselm. « Une perspective en termes de monde social », dans La trame de la négociation, Paris, L’Harmattan, 1992.
- Arborio Anne-Marie, Un personnel invisible. Les aides-soignantes à l’hôpital. Paris, Anthropos-Economica, 2012.
- Le Répertoire de la fonction publique hospitalière inventorie plus de 200 emplois dans les hôpitaux publics.